LES BUNKERS

Comment se partir une entreprise? (Et combien ça coûte vraiment?!)

"On croit tellement à notre idée, qu'on va mettre 150 000 $ là-dessus!" me dit-il avec un sourire tout fier de me balancer au visage un chiffre qu'il considère comme gros.

Le premier réflex que j'ai eu, c'est de me dire "non, mais il n'a rien compris... Après tout ce temps, il n'a toujours rien compris!"

Je ne sais pas ce qu'il y a avec les hommes mi-trentaines qui ont réussit dans la vie, mais on dirait qu'ils ont une envie incontrôlable d'essayer de perdre l'argent qu'ils ont durement gagné.

Ils ont une idée, et puisqu'ils sont manifestement de bons hommes (ou femmes) d'affaires vu leur succès apparent, ça veut certainement dire qu'ils possèdent un don pour magiquement lire les besoins, les désirs et les frustrations du marché.

Puisqu'ils ont réussi une fois, ils vont réussir à nouveau.

Ça aurait du sens s'il s'agissait d'une entreprise de la même nature. Un bon restaurateur a plus de chance de s'ouvrir un bon restaurant s'il en a eu 4 par le passé.

Cependant, si un restaurateur décide de se lancer sur le web, d'inventer un nouveau produit ou de proposer un nouveau service, il va vite se rendre compte que les règles ne sont plus les mêmes...

Lancer une entreprise ayant un modèle d'affaires traditionnel (restaurant, hôtel, masseur, agence, dentiste...) requiert un processus qui n'a absolument RIEN à voir avec celui de démarrer une entreprise ayant un modèle d'affaires qui n'a pas encore été validé (application, service web, e-commerce, ...)

Sur le web, lorsqu'on veut suivre un modèle d'affaire qui a fait ses preuves, on se tire dans le pied! Jamais un nobody ne pourra remplacer Google, Facebook ou LinkedIn! Et pourtant, je me fais pitcher  au moins une fois par mois par un jeune ambitieux rêvant de devenir entrepreneur, l'idée de faire un Linkedin, un JobBoom ou un Google, mais en mieux!

La validation est le nouveau modèle d'affaires.

La plupart des entrepreneurs "traditionnels" débutent avec un modèle d'affaires.

Dans le contexte traditionnel, ça fait tout son sens, puisqu'une étude de marché permet adéquatement de dire si, oui ou non, il y a une demande pour un autre McDonald au centre-ville.

La réalité des entreprises traditionnelles justifie de passer un mois à écrire un plan d'affaires et d'investir 35,000 $ pour faire une petite étude de marché avant d'investir 1,500,000 $ pour la bâtisse, l'équipement et la franchise.

Tsay, probablement que ça sera pas ton argent anyway, mais bien celle de la banque, donc c'est normal qu'ils veuillent savoir à qui ils prêtent!

Mais sur le web, un plan d'affaires ça vaut pas dla schnout.

Lorsque tu proposes quelque chose de nouveau, tu n'as rien d'autre qu'une hypothèse.

L’hypothèse que les gens ont un besoin, et que vous pouvez vous faire de l'argent en le comblant.

Essayez de vous rappeler vos cours de méthodologie scientifique, parce que démarrer une entreprise suit exactement le même modèle que celui de la recherche scientifique.

Votre plan d'affaires, c'est une hypothèse...

Vous débutez avec votre hypothèse:

"Je crois que les gens aimeraient être capable d'accéder à leur donnés à partir de n'importe où. Que ce soit leur téléphone cellulaire, leur ordinateur ou leur portable."

Ensuite, vous devez tester cette hypothèse pour la valider. En recherche, il faut faire attention de ne pas induire ses propres biais subjectifs pour ne pas fausser les résultats! Donc, n'allez pas demander à vos amis ou à votre famille ce qu'ils pensent de votre idée, leur opinion ne vaut pas grand-chose...

Il faut mesurer, avec des indicateurs clairs, l'intérêt et le besoin du marché envers votre solution.

On pense immédiatement au questionnaire, mais savez-vous quoi? Ça non plus, ça ne vaut pas grand-chose!

Si je demande à une personne comment elle va réagir si on lui pointe un flingue au visage, ce qu'elle va vous dire va probablement être très différent de la réalité si la situation avait à se produire. Ça ressemblerait probablement un peu moins à Jackie-Chan et un peu plus à Ben Stiller.

Il y a une GROSSE marge entre ce que les gens disent et ce que les gens font. Le questionnaire n'est donc seulement valide que pour étudier la perception et le jugement des gens envers un phénomène. PAS pour prédire un comportement.

Alors, comment faire pour savoir ce que les gens pensent de votre produit si vous ne pouvez pas leur demander directement?

Eh bien c'est simple, vous devez faire ce qu'on appelle un MVP.

Comment tester SON hypothèse d'affaires?

MVP veut dire Minimum Viable Product. C'est Eric Ries qui est arrivé avec ce concept (et cette méthodologie) dans son livre Lean Startup.

Il s'agit de la façon la plus rapide et la moins coûteuse de tester comment les gens vont réagir face à une idée ou un concept.

Donc, l'idée de boutique en ligne, de service web ou d'application mobile que vous avez en tête pour le moment, c'est la version 10. Le MVP, c'est la version 1.

Si vous voulez savoir si les gens vont acheter un type de produit, essayez de le vendre sur Etsy, eBay ou Amazon avant de vous ouvrir un Shopify.

Si vous voulez savoir si les gens vont aimer votre application, faites la version la plus boboche et avec le moins de fonctionnalités possible et demandez à une centaine de personnes de la tester et étudiez leur comportement. L'important n'est pas que ce soit joli, mais bien fonctionnel.

Pour reprendre mon hypothèse de tout à l'heure où on supposait que les gens aimeraient être capable d'accéder à leurs informations à partir de n'importe où.

Techniquement, il s'agit simplement d'un serveur FTP qui se synchronise localement sur l'ensemble de vos appareils. Seulement, dit comme ça, la p'tite matante en train de faire des brownies en écoutant Ricardo ne comprendrait sûrement pas.

C'est pourquoi DropBox, la compagnie qui a exécuté ce concept en 2010 (et vaut maintenant 10 milliards), a utilisé un MVP pour valider l'hypothèse.

Au lieu d'investir temps et argent pour développer un logiciel de base, mais fonctionnel, ils y ont été encore plus simplement et ont opté pour une vidéo explicative.

Du jour au lendemain, leur liste d'attente pour la version bêta est passée de 5,000 à 75,000 personnes. Le concept a littéralement explosé sur des sites comme Reddit et Digg.

Quoi faire lorsque l'hypothèse ne fonctionne pas?

Le plus gros risque lorsque vous faites une entreprise, c'est de créer quelque chose que les gens ne veulent pas.

C'est pour cette raison qu'il est impératif de définir et de tester le plus rapidement possible votre hypothèse d'affaires.

Comme n'importe quelle hypothèse, il se peut bien que la vôtre s'avère fausse. Et dans ce cas, il va falloir modifier votre approche, il va falloir faire un pivot.

Un pivot, c'est le terme couramment employé dans l'industrie pour dire que vous allez essayer d'approcher le même problème, mais avec un angle différent, ou d'employer la même solution, mais à un problème différent.

Vous ne changez pas drastiquement d'hypothèse, mais vous l'ajustez subtilement pour essayer de trouver un angle qui va plaire au marché.

Pour vous donner un exemple, j'aimerais vous parler un peu du jeu vidéo Glitch. Vous n'en avez jamais entendu parler? C'est normal! Il s'agit d'un jeu qui a été lancé en 2011 où l'objectif n'est pas de se battre, mais bien de collaborer avec des milliers d'autres internautes pour co-construire un monde persistant.

À sa sortie, la réception fut affreuse et la compagnie a dû arrêter le projet.

Un an plus tard, Stewart Butterfield, l'entrepreneur à la tête de ce projet, décide de reprendre une partit du code développé dans le système de chat de Glitch pour créer un système de messagerie en ligne visant à remplacer l'anarchie des courriels.

12 mois plus tard, on pouvait lire "Slack is now the fastest growing workplace software ever".

L'équipe derrière Slack croyait que le marché voulait un jeu vidéo où l'emphase était mise sur la communication et le travail d'équipe. Malheureusement pour eux, les gens veulent faire exploser des choses et conduire des bagnoles à toute vitesse.

 Ils ont développé la bonne solution pour le mauvais problème. Effectuer un pivot vers le B2B est tout ce qu'il manquait à l'entreprise pour faire un coup de circuit!

Le plus gros risque lorsque vous faites une entreprise, c'est de créer quelque chose que les gens ne veulent pas.

Alors... Ça coûte combien pour démarrer une entreprise?

Se demander combien ça coûte pour démarrer une entreprise, c'est se poser la mauvaise question.

La vraie question est: combien ça coûte pour valider une hypothèse. Et la plupart du temps, ça coûte pas mal moins que vous pensez!

En 2012, j'ai voulu tester une idée que j'avais. Je croyais que les gens seraient prêts à payer pour être capables d'avoir la température de leur piscine sur leur téléphone intelligent. J'ai donc pris une après-midi pour:

  1. Faire une landing page contenant une vidéo explicative.
  2. Créer un compte Mailchimp qui allait capturer les adresses courriel des gens intéressés.
  3. Faire une petite campagne AdWords pour voir combien ça me coûterait pour générer des adresses courriel.

Une semaine plus tard, j'ai réalisé que ça me coûtait 1,30 $ par adresse courriel et que l'idée avait peut-être un peu de potentiel. C'était bien sûr avant que Google se lance avec Nest et qu'on commence à parler de l'Internet des objets.

Avec les courriels que j'ai reçus, j'ai réalisé qu'il y avait un bien plus gros marché pour les spas (pour éviter le gel l'hiver) et les salles de serveurs (pour éviter la surchauffe).

Alors, cette idée, j'en ai fait quoi? Eh bien rien! C'est triste? Non, moi je trouve ça beau!

En moins de deux semaines, j'ai été capable de prendre mon idée, créer un MVP, voir la réaction du marché et en venir jusqu'à un pivot avant de laisser tomber pour me concentrer sur autre chose.

2 semaines, 100 $, c'est tout ce que ça va m'avoir coûté.

Attention à ne pas vous faire voler votre idée!

Bien sûr, cette approche amène la peur irrationnelle et ridicule de se faire voler son idée.

Tout le monde me le disait "fais attention à qui tu parles de ton projet, ne fait confiance à personne, fais signer des NDA lorsque tu en parles".

À écouter les gens, il fallait que je passe 6 mois dans le secret et que je dépense 20,000 $ en brevet avant d'arriver avec un prototype fonctionnel pour ensuite payer 10,000 $ chez un manufacturier chinois pour remplir mon garage de thermomètres wi-fi... Non merci.

La notion de se faire voler son idée est ridicule. Pour se faire voler une idée, il faudrait que quelqu'un lâche absolument tout ce qu'il est en train de faire maintenant pour se concentrer à temps plein sur le même projet que toi... Et, logiquement, puisque tu as débuté avant lui, tu as une longueur d'avance! Donc who cares? You'll win anyway.

Les seules personnes dont il faut se méfier pour ne pas se faire voler son idée sont ses partenaires d'affaires (*cough* Mark Zuckerberg...)

Pourquoi est-ce que si peu de gens utilisent cette approche?

L'approche que je vous ai expliquée tout au long de cet article est l'approche que toutes les start-ups cool et branchées utilisent en ce moment. C'est l'approche qu'Amazon, Google, Twitter, Facebook et toutes les autres compagnies qui veulent rester pertinentes en 2050 emploient.

C'est une approche qui a été détaillée sur des centaines de pages dans le best seller Lean Startup ainsi qu'une dizaine d'autres livres sur le sujet.

Alors, pourquoi est-ce qu'aussi peu de gens utilisent cette approche?

Simplement parce qu'ils ont peur.

Peur de quoi? Ils ont peur que leur idée ne fonctionne pas. Ils ont peur que leur hypothèse ne soit pas exacte. Ils aiment mieux préserver l'illusion qu'ils savent de quoi ils parlent et qu'ils ont raison.

C'est pour cette raison qu'ils grossissent l'ampleur de tout. Ça va prendre 150,000 $ en financement, ça va me prendre le logo parfait, le nom parfait, le site web parfait...

Il faut que chaque détail représente leur vision, et si ça ne fonctionne pas, c'est que le designer ne l'a pas écouté lorsqu'il a fait le logo, ou que l'équipe web n'écoutait pas lorsqu'il parlait de sa vision.

Pour avoir du succès sur le web, il faut faire BEAUCOUP de tests. Et un test n'est pas un test si vous savez que vous avez raison. Il faut prendre des risques et se concentrer sur ce qui est vraiment important.  

Ce n'est pas parce que vous pouvez faire quelque chose, que vous devez le faire. 

Votre "look" est beaucoup moins important que la fonctionnalité de votre produit, et la fonctionnalité est beaucoup moins importante que l'utilité.

Donc, avant de vous lancer sur votre prochain projet, demandez-vous: quelle hypothèse se cache derrière votre idée? Et comment pouvez-vous la valider le plus rapidement possible?

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